MEDITATION Comment elle modifie le cerveau

Pour la Science N°448, Février 2015
Les neurosciences explorent le cerveau des méditants et confirment les effets bénéfiques de ces très anciennes pratiques méditatives.
L'essentiel
- La méditation, dont il existe diverses formes, s'est répandue dans le monde laïc. Elle est notamment pratiquée dans les hôpitaux et les écoles.
- Elle produit plusieurs effets bénéfiques sur le plan psychologique. Par exemple, les pratiquants contrôlent mieux leur attention et sont moins sensibles au stress.
- L'imagerie cérébrale et d'autres techniques ont permis de montrer qu'elle modifie l'activité et la structure du cerveau.
«Quelle relation pourrait-il y avoir entre le bouddhisme, une ancienne tradition philosophique et spirituelle indienne, et la science moderne ? ». Cette question était posée par Tenzin Gyatso, le quatorzième dalaï-lama (chef spirituel du bouddhisme tibétain), à la rencontre annuelle de la Société des neurosciences, à Washington, en 2005. Quelques centaines de participants – sur un total de 35 000 – avaient alors protesté contre la tribune qui lui était accordée, estimant qu'un chef religieux n'avait pas sa place dans une rencontre scientifique. Pourtant, la collaboration entre science et bouddhisme avait déjà commencé à porter ses fruits.
Le dalaï-lama a entrepris cette collaboration dès les années 1980, suscitant la création de l'Institut Mind and Life (Esprit et vie), dédié à l'étude de la « science contemplative ». En 2000, il a suggéré aux chercheurs d'étudier l'activité cérébrale de méditants bouddhistes « experts » – c'est-à-dire ayant entre 10 000 et 60 000 heures de pratique.
Pendant près de 15 ans, plus de 100 méditants bouddhistes – moines et laïques, orientaux et occidentaux, hommes et femmes – et de nombreux débutants ont participé à des expériences sur la méditation dans une vingtaine d'universités, dont celle du Wisconsin à Madison, aux États-Unis. Lors d'études d'imagerie, on a comparé l'activité cérébrale de méditants experts et novices. On a ainsi découvert de premiers éléments expliquant les multiples bénéfices cognitifs et émotionnels que peut apporter cette pratique. De fait, les objectifs de la méditation recoupent largement ceux de la psychologie clinique, de la psychiatrie, de la médecine préventive et de l'éducation. Un nombre croissant de recherches suggèrent qu'elle peut aider à traiter la dépression et la douleur chronique, ainsi qu'à développer un sentiment de bien-être général.
La découverte des bienfaits de la méditation coïncide avec des résultats récents sur la plasticité du cerveau adulte, qui peut être profondément modifié par l'expérience vécue. Ainsi, chez un violoniste, une région cérébrale qui contrôle les mouvements des doigts s'agrandit progressivement à mesure qu'il apprend à jouer de son instrument. Un processus similaire semble se produire lors de la méditation. Le pratiquant régule ses états mentaux pour parvenir à une forme d'enrichissement intérieur, ce qui modifie le fonctionnement et la structure du cerveau. La méditation semble même susceptible d'augmenter la connectivité des circuits cérébraux et de produire des effets bénéfiques non seulement sur l'esprit et le cerveau, mais aussi sur l'ensemble du corps.
La méditation s'enracine dans les pratiques contemplatives de presque toutes les grandes religions. Elle est très présente dans les médias, mais avec diverses significations. Pour nous, pratiquer la méditation signifiera cultiver des qualités humaines fondamentales, telles que la stabilité et la clarté de l'esprit, l'équilibre émotionnel, le souci des autres et même l'amour altruiste et la compassion – des qualités qui restent latentes tant que nous ne nous efforçons pas de les développer. C'est aussi une familiarisation avec une manière d'être plus sereine et plus souple.
La méditation est relativement simple et peut se pratiquer partout. Aucun équipement n'est nécessaire. Le méditant commence par adopter une posture physique confortable, ni trop tendue ni trop relâchée, et par souhaiter une transformation intérieure, ainsi que le bien-être des autres et le soulagement de leurs souffrances. Il doit ensuite stabiliser son esprit, trop souvent confus et envahi par un incessant bavardage intérieur. Cela passe par une libération des conditionnements mentaux.
Les neuroscientifiques commencent à découvrir ce qui se passe dans le cerveau au cours de trois types communs de méditation. Ces derniers ont été développés par le bouddhisme et sont désormais pratiqués dans le cadre de programmes laïques, au sein d'hôpitaux et d'écoles du monde entier.
La méditation du premier type, dite par attention focalisée, vise à apprivoiser et à centrer l'esprit sur le moment présent, tout en développant la vigilance.
Celle du deuxième type, qu'on appelle méditation de pleine conscience ou de surveillance ouverte (parfois aussi conscience non réactive), cultive une conscience plus neutre des émotions, des pensées et des sensations, pour éviter qu'elles deviennent incontrôlables et créent une détresse mentale. Dans cette pratique, le méditant demeure attentif à ses ressentis, sans se concentrer sur quelque chose en particulier.
Enfin, un autre type de méditation développe la compassion et l'altruisme envers les autres, tout en réduisant la tendance à rester centré sur soi-même.
Wendy Hasenkamp, de l'Université Emory aux États-Unis, et ses collègues ont utilisé l'imagerie cérébrale (l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, ou irmf) pour identifier les réseaux neuronaux activés dans la méditation par attention focalisée. Dans le scanner, les participants ont appris à concentrer leur attention sur leur respiration. En général, durant cette forme de méditation, l'esprit se met à vagabonder, et le pratiquant doit en prendre conscience puis recentrer son attention sur le rythme régulier de l'inspiration et de l'expiration.
Le méditant allongé dans le scanner signalait quand son esprit vagabondait en appuyant sur un bouton. Les chercheurs ont identifié un cycle cognitif de quatre phases : un épisode de vagabondage de l'esprit, une prise de conscience de la distraction, un moment de réorientation de l'attention et une nouvelle phase d'attention focalisée.
Dans chacune des quatre phases, des circuits cérébraux particuliers s'activent. Lors de la première, durant laquelle l'esprit se laisse distraire, l'activité augmente dans le réseau dit du mode par défaut. Ce réseau comprend des régions du cortex préfrontal médian, du cortex cingulaire postérieur, du précuneus, du lobe pariétal inférieur et du cortex temporal latéral . Il s'active lorsque l'esprit vagabonde tout en étant impliqué dans la construction et la mise à jour de modèles internes du monde, fondés sur des souvenirs à long terme relatifs à soi ou aux autres.
Lors de la deuxième phase, où l'on prend conscience de la distraction, d'autres aires cérébrales s'activent, telles que l'insula antérieure (un repli du cortex au niveau des tempes) et le cortex cingulaire antérieur. Ces aires appartiennent au « réseau de la saillance ». Ce dernier réoriente la conscience vers ce qui est saillant et régule les sensations qui pourraient distraire le sujet au cours de la réalisation d'une tâche. Il jouerait un rôle clé dans la détection d'événements nouveaux et dans le transfert d'activité entre de vastes ensembles de neurones durant la méditation. Il pourrait déplacer l'attention en atténuant l'activité du réseau du mode par défaut, par exemple.
La troisième phase fait intervenir d'autres aires cérébrales, dont le cortex préfrontal dorso-latéral et le lobe pariétal inféro-latéral, qui réorientent l'attention du sujet en la détachant de tout élément susceptible de créer une diversion. Enfin, durant la quatrième et dernière phase, l'activité augmente dans une région située en arrière du front, le cortex préfrontal dorso-latéral, ce qui indique la focalisation de l'attention, sur la respiration par exemple.
Des champions de la concentration et de l'attention
Dans notre laboratoire à l'Université du Wisconsin, nous avons constaté que l'activité cérébrale dans ces aires liées à l'attention dépendait du niveau d'expérience du méditant. Par rapport aux novices, les pratiquants ayant médité plus de 10 000 heures présentaient une activité plus intense. Paradoxalement, pour les plus chevronnés de ces experts, le phénomène s'inversait : leur activité cérébrale était moins intense que celle de leurs confrères un peu moins expérimentés. Ainsi, les meilleurs méditants semblent avoir besoin de moins d'efforts pour atteindre une grande concentration, un peu comme les musiciens et les athlètes virtuoses s'immergent naturellement dans leur pratique, sans consacrer trop de peine à tout contrôler.
Dans une autre expérience, nous avons examiné des pratiquants de la méditation par attention focalisée avant et après une retraite de trois mois, lors de laquelle ils ont effectué des exercices intensifs pendant au moins huit heures par jour. Nous leur avons donné des casques diffusant des sons de fréquence fixe, parfois mélangés avec des sons légèrement plus aigus. Ils devaient se concentrer sur ce qu'ils entendaient et se manifester quand un son plus aigu retentissait. Après la retraite, les méditants avaient des temps de réaction moins variables que les sujets d'un groupe témoin dans cette tâche répétitive, propice aux distractions. Ce résultat suggère que les méditants avaient une capacité accrue de vigilance. En outre, les réponses électriques de leur cerveau aux sons de fréquence fixe étaient moins variables d'un essai à l'autre, signe que les méditants se laissaient moins absorber par des distractions pendant la tâche.
Le second type de méditation bien étudié implique aussi une forme particulière d'attention. Dans la méditation de pleine conscience, le méditant prend mentalement note de tout ce qu'il voit ou entend, de ses sensations corporelles internes et de son discours intérieur. Il reste conscient de ce qui se passe sans se préoccuper d'aucune perception ou pensée isolée, en revenant à cette concentration détachée chaque fois que son esprit vagabonde. À mesure que la conscience des événements environnants augmente, les sources d'irritation quotidiennes (un collègue en colère, un enfant agité) deviennent moins perturbatrices et une sensation de bien-être se développe.
Avec Heleen Slagter, alors membre de notre équipe, nous avons étudié les effets de cette forme de méditation, en mesurant la capacité des participants à détecter de brefs stimulus visuels. Dans ce type d'expérience, les sujets doivent détecter deux nombres qui se succèdent rapidement sur un écran parmi une suite de lettres. Si le second nombre apparaît environ 300 millisecondes après le premier, il leur échappe souvent, un phénomène nommé clignement attentionnel. En revanche, s'il est présenté après un délai de 600 millisecondes, il est détecté sans difficulté.
Le clignement attentionnel reflète les limites de la capacité du cerveau à traiter deux stimulus rapprochés. Lorsqu'une partie trop importante de l'attention est consacrée au traitement du premier nombre, le second n'est pas toujours détecté. Nous avons émis l'hypothèse que l'entraînement à la méditation de pleine conscience réduit la propension à « rester collé » au premier nombre. Cette pratique développe une forme de conscience sensorielle non réactive, qui devrait réduire le clignement attentionnel.
Comme prévu, après trois mois de retraite intensive, les méditants percevaient les deux nombres plus souvent que les sujets témoins. Cette amélioration se traduisait par une diminution de l'intensité d'une onde cérébrale particulière, l'onde P3b, qui reflétait l'allocation des ressources attentionnelles au premier nombre. Les caractéristiques de cette onde suggéraient que les méditants étaient capables d'optimiser leur attention pour minimiser le clignement attentionnel.
Rester simplement conscient d'une sensation déplaisante, sans espoir ni crainte, est susceptible de réduire les réponses émotionnelles inadaptées et d'aider à ne plus s'en préoccuper, ce qui peut se révéler utile dans la gestion de la douleur. Dans notre laboratoire, nous avons étudié des pratiquants expérimentés pendant qu'ils s'adonnaient à une forme avancée de méditation de pleine conscience, qualifiée de présence ouverte. Dans cette pratique, l'esprit est calme et détendu, n'est concentré sur aucun objet en particulier, mais reste clair, libéré de l'excitation ou de l'ennui. Le méditant observe la sensation douloureuse, sans chercher à l'interpréter, la changer, la rejeter ou l'ignorer. Nous avons constaté que la douleur restait aussi intense chez les méditants, mais qu'elle les dérangeait moins que les membres d'un groupe témoin.
Durant la période précédant le stimulus douloureux, les méditants expérimentés présentaient une activité cérébrale moins importante que les novices dans les aires liées à l'anxiété (le cortex insulaire et l'amygdale). En outre, ils s'accoutumaient plus vite à la douleur, les aires cér